(Épître aux Éphésiens, V, 8)
Parents, maîtres et éducateurs, nous avons pour mission de mener les âmes des enfants vers la Lumière qui sera le chemin de leur vie et leur bonheur. Chaque semaine, nous vous proposons de découvrir quelques paroles de guides et de témoins pour éclairer notre propre route à l'aune de cette parole de saint Thomas d'Aquin : “Ne regarde pas à celui qui parle, mais tout ce que tu entends de bon, confie-le à ta mémoire.” (Seize conseils pour acquérir le trésor de la science). Bonne lecture !

Geneviève s’oublie. Elle n’existe plus que dans le regard de ces hommes, par eux, et pour eux. Sans le savoir, la petite fille de Labatut a convoqué dans sa mémoire la longue lignée de ses ancêtres, cette cohorte de fantômes qui ont toujours servi et qui savent le sacrifice. Son ADN est celui du panache, et si la noblesse a un cœur, alors il bat dans la poitrine de cette femme. Dans ses veines coule un sang fier, une sève de couleur bleue qui lui confère la force. Elle ne craint pas la souillure, ne fuit pas la plaie qui suinte ou la blessure hideuse. Par la grâce d’un sourire, d’une main posée sur un front, elle calme les angoisses, apaise les tourments et accompagne les mourants. Ses yeux sont un repère, un phare dans le brouillard : les hommes l’ont bien compris, qui la réclament sans cesse. Un soldat qui souffre redevient un enfant, alors elle rassure toujours et parle de l’avenir. “Geneviève, promettez-moi que je ne vais pas mourir”, la supplie un blessé. Parfois pourtant, elle ne peut plus promettre… alors puisqu’il le faut, c’est en serrant sa main qu’elle accompagne celui qui ne sait plus son nom mais a senti la fin. Tous réclament sa présence. Geneviève ne s’appartient plus. Mais la défaite approche. Les Français savent qu’ils ne pourront plus soutenir longtemps l’offensive du Viêt-minh. Le 7 mai, à 17 heures, les canons se taisent et vient alors la longue et interminable attente. Admirable, Geneviève continue à s’occuper de « ses blessés », alors même que l’ennemi a réquisitionné tout le matériel médical. Le Viêt-minh veut la rapatrier à Hanoi ? Elle refuse d’abandonner les soldats. Finalement, le 24 mai, après dix-sept jours de captivité, l’infirmière fait ses adieux au docteur Grauwin et à ses compagnons de souffrance, et monte à bord d’un Beaver qui la rapatrie à Luang Prabang. Le 8 juin, la France découvre à la une de Paris Match le visage de celle que le monde entier appellera bientôt “l’Ange de Diên Biên Phù”. Un ange qui, avec une humilité déroutante, répondra toute sa vie aux journalistes venus l’interroger : “Je n’ai fait que mon devoir…”
Marie-Laure Buisson (1967)
Auteur de L’Ange de Diên Biên Phu
« Je me rendis compte que Geneviève pouvait entrer dans la grande lignée, la grande lignée des filles merveilleuses qui se sont succédé en Indochine depuis huit ans. Geneviève de Galard, c’était « la Dêche », assistante sociale pendant de longues années au bataillon de marche de la 9e D.I.C. ; infatigable, vivant adorée au milieu de son bataillon, du deuxième classe au commandant. Le commandant s’appelait Langlais. Un soir, à minuit, elle entra dans l’hôpital de Lanessan avec un cortège de buffles, de bufflons et un immense troupeau de canards. « Pour améliorer l’ordinaire des blessés ! » On l’appelait « la Dêche », parce que sa solde passait dans les poches de ses gars, dès le lendemain de la paye. Geneviève, c’était Suzy Poirier, blessée d’une balle dans la tête au volant de son ambulance, sur la route de Cao Bang. C’était Aline Lerouge, ambulancière intrépide, qui bascula un jour avec son ambulance, dans une froide rivière du Tonkin. On l’avait vue sur toutes les routes de ce pays. En 1947, au cours d’une opération sur la digue de Phu-Ly, le Half-Track qui la précédait fut pris à partie par un sniper. Le conducteur est tué. Aussitôt, elle confie le volant de son ambulance à sa coéquipière, saute dans le Half-Track et repart. Quelque cent mètres plus loin, un nouveau tir arrive de la rizière. Elle descend sur le talus, s’allonge, vide le chargeur de sa carabine, et une balle viet lui traverse le poumon. C’était Marguerite, coéquipière d’Aline, licenciée en philo, calme et sereine. Au cours des attaques de convois de Cao Bang on pouvait la voir, remontant la colonne, droite, cigarette aux lèvres, alors qu’autour d’elle, toute l’escorte avait disparu dans les fossés. C’était Odette, en hiver 1947, sur la rivière Claire, qui fit à mes côtés deux cent cinquante kilomètres à pied, de Tuyên Quang à Hanoi. C’étaient les infirmières qui se nomment : Mathy, Poupart, Baugé, Sage, Sorin. Filles au grand cœur, plein d’amour, au service des blessés d’Indochine depuis huit ans. Elles reviennent dans leur service à minuit, à deux heures du matin, pour voir si le thorax de la veille saigne encore. Non ! elles viennent surtout pour lui dire : Ne t’en fais pas, je suis là, et puis je serai encore là tout à l’heure, à sept heures et demie ! C’est Minouche, ambulancière, qui laisse sa solde, elle aussi, dans la poche des gars qu’elle véhicule. Du nord au sud, de l’est à l’ouest du Tonkin et de la Cochinchine on la connaît, on l’aime ! A Bui-Chu, un jour, le téléphone annonce des blessés graves à sept kilomètres de là. C’était l’aurore, la route n’est pas ouverte. Elle fonce, c’est elle qui l’ouvrira ! C’était Robinet, anesthésiste. Elle a endormi des milliers de soldats depuis l’Afrique, par l’Italie, l’Allemagne et naturellement jusqu’en Indochine. L’an dernier, à Quang-Tri, elle roula sur le toit d’un L.C.M. le ventre perforé de part en part par une balle viet. Appelé un jour à griffonner “quelque chose” sur le livre d’or des ambulancières de Cao Bang, j’écrivis : « Le combattant qui tombe, blessé, devient pour vous une sorte de demi-dieu qui a tous les droits ! »
Médecin-Commandant Grauwin (1914-1989)
Auteur de J’étais médecin à Diên Biên Phu / Geneviève de Galard (1925-2024)
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